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La série télé Rome

La série télé Rome Posted on 27 novembre 2009

Même si elle n’est pas encore passée sur une autre chaîne que Canal+, la nouvelle série à la mode dans son coffret noir et sang, depuis une année dans les bacs, aura certainement attiré votre attention. Peut-être vous en défiez-vous, échaudé que vous êtes par les derniers péplums certes guère convaincants. Nulle crainte à avoir : Rome, narrant la fin de la République, de la défaite de Vercingétorix à la mort de César, allie, ô miracle, divertissement et crédibilité historique.

La publicité qui passait sur Canal+ avant la diffusion est assez révélatrice : on y voyait dans un musée un guide pédant délivrer des explications soporifiques à des visiteurs ensommeillés. « Voilà ce qu’est habituellement Rome pour vous », commentait la voix off. « Mais Rome, ça peut aussi être ça »: des lions faisaient soudain irruption dans le musée, réveillant pour de bon les visiteurs. « Mais Rome sur Canal+, c’est ça » : c’est alors qu’on découvrait les images de la série (interdite aux moins de 18 ans…) créée par la chaîne HBO, déjà responsable de séries aussi décalées et décapantes que Six Feet Under ou Les Soprano.

On vous conseille de ne pas attendre une diffusion hypothétique sur une chaîne romande et de vous procurer les DVD, qui sont truffés de suppléments intéressants. Pour chaque épisode, lorsqu’on choisit l’option « All roads lead to Rome » (seulement en anglais), des commentaires apparaissent, écrits par le consultant historique de la série. Ils vont du simple rappel pour débutants (« Vénus est la déesse de l’amour ») aux détails de la pratique de la trépanation au 1er s. av. J-C. De plus, un DVD entier est consacré à des explications en images sur la Rome de l’époque et à la réalisation du décor à Cinecittà, tellement coûteuse que la série s’arrêtera après la 2e saison, soit l’affrontement Antoine-Octave et l’avènement de l’Empire.

La 1ère saison, bien que centrée sur le duel César-Pompée, laisse la vedette à deux personnages subalternes, le centurion Lucius Vorenus et le légionnaire Titus Pullo. Ils sont tous deux mentionnés dans la Guerre des Gaules (livre 5, chapitre 44: « Chacun d’eux porta secours à l’autre et lui sauva la vie, sans qu’on pût décider qui des deux fut le plus brave. ») César fait référence à un centurion Pulio, mais la série le transforme en simple légionnaire pour créer entre lui et Vorénus un rapport d’autorité et de dépendance, et le rebaptise ironiquement Pullo (pullus: « poulet, mignon »), ce qui prête à sourire si l’on considère la carrure de rugbyman de son interprète, Ray Stevenson.

Le fait de s’intéresser à des hommes ordinaires permet de pénétrer au plus profond de la Rome populaire, de voir la vie quotidienne dans les taudis de Suburre, d’aller au lupanar, d’assister à des mimes, de lire les graffiti sur les murs, tout cela dans des décors salis à souhait, à tel point que les acteurs répugnaient parfois à y jouer! On est bien loin de la Rome de marbre blanc à laquelle les péplums nous avaient habitués jusqu’à présent. Le modèle avoué par les décorateurs de la série est d’ailleurs la Calcutta actuelle.

Le format télé offre aussi l’occasion de privilégier les scènes intimistes. On passe ainsi plus de temps à voir Vorenus réapprendre à aimer sa femme après 8 ans de guerre des Gaules qu’à assister à des batailles. Celle de Pharsale, qui constitue pourtant le moment décisif de la lutte César-Pompée, est réduite à quelques secondes de ralentis confus.

Ce n’est pas pour autant que les scènes de bravoure sont absentes. Celle du triomphe de César, par exemple, est remarquable à divers égards. D’abord, elle est vue à la fois par les yeux de César, qui contemple d’en haut la foule et ses soldats (des figurants italiens qui ont dû pour l’occasion dissimuler leur portable et leurs clopes sous leur casque) et par ceux de la fillette de Vorenus, qui ne fait qu’entrevoir les fastes du cortège entre deux jambes de spectateur. Ensuite, les images inattendues y abondent, comme ces scènes d’après la fête, où les esclaves balaient les pétales de roses tandis que les mouches tournent autour du cadavre de Vercingétorix.

Tant la mise en scène que les dialogues se dégrossissent au fil des épisodes, et il ne faudra pas s’arrêter à l’impression un peu sommaire que dégagent les premières scènes. Les deux soldats y sont très schématiquement opposés : Vorenus est le centurion sans reproche, fidèle aux idéaux de la République, alors que Pullo est bien entendu le bon vivant amateur de femmes et de vin. Heureusement, les personnages prendront de l’épaisseur et de la complexité avec le temps.

Enfin, ce qui est particulièrement remarquable avec cette série, c’est que, pour une fois, on voit des Romains penser en Romains, sans toute notre morale judéo-chrétienne. Ceci explique la limite d’âge et donne lieu à des scènes impressionnantes ou surprenantes. Un exemple en est la joie éprouvée par Attia à l’idée (erronée!) que son fils de 12 ans, Octave, ait pu être l’amant de César. La façon qu’ont les mères d’utiliser leurs enfants comme des pions dans les luttes de pouvoir fait froid dans le dos.

Si la série garde ce ton et ces principes, on se réjouit de voir le traitement qu’elle infligera à la relation Antoine-Cléopâtre et à l’effondrement définitif de la République! Le rendez-vous est pris à la mi-août, pour la sortie de cette seconde et ultime saison.