Les 300, ce sont ces Spartiates qui ont résisté, en 480 av J.-C., face à l’armée perse de Xerxès infiniment plus nombreuse, avant de périr jusqu’au dernier.
Scénario dramatique à souhait qui avait inspiré le bédéiste Frank Miller en 1998. Ce roman graphique au format à l’italienne (tout en longueur) se prêtait admirablement à l’adaptation cinématographique, ce qui avait déjà été le cas avec la grande oeuvre au noir de Miller, Sin City.
Pour 300, « adaptation », c’est beaucoup dire. « Un script, pourquoi ? » demandait Zack Snyder, le metteur en scène, « Je vais le tourner comme c’est là, dans le roman graphique. Vous voyez ce type ? Vous voyez ce qui est écrit là, dans la bulle près de sa tête ? C’est ça son dialogue. »
Mais cette BD qui se lit en 30 minutes avait tout de même besoin d’être étoffée. C’est ainsi qu’on a ajouté aux armées perses quelques mutants (on rappellera que Snyder sortait d’un film de zombies, L’Armée des Morts), mais, blague à part, c’est surtout le personnage de la femme de Léonidas qui a été largement développé: « Je voulais apporter une énergie féminine à l’histoire, une touche maternelle et plus d’humanité », justifie-t-il. Entreprise louable, mais qui fait dévier le projet de ce qu’il était à l’origine: une ode virile au courage, chantée par des chippendales.
Les acteurs, issus pour la plupart du théâtre anglais (car capables de faire exister leur personnage devant un fond bleu où viendront se greffer les images de synthèse, et de tonitruer leurs répliques) ont pris le temps de se forger un physique de culturiste. Pendant le tournage, une blague circulait: « Si le film fait un flop en salle, il aura une carrière assurée en DVD grâce à la communauté gay ! »
Tout réalisme est délibérément banni du film. Les costumes et les armes ont été récupérés pour certains de Troie et d’Alexandre, les décors stylisés appartiennent résolument à un univers graphique; quant aux couleurs, fortement constrastées et baignées d’une lumière dorée, elles évoquent, plus que la BD elle-même, la peinture romantique, qui, comme par hasard, influença notablement l’esthétique du Seigneur des Anneaux.
D’ailleurs, les troupes ennemies où se côtoient animaux monstrueux et soldats au faciès ravagé renvoient immédiatement le film à l’univers de la fantasy. Il en va de même, bien sûr, pour le traître, créature difforme qui suit l’armée spartiate à la trace, comme Gollum le faisait avec les Hobbits tout au long de la saga du Seigneur des Anneaux.
Cette stylisation et ce choix du mythe éloignent résolument 300 de la plupart des péplums modernes, comme Alexandre qui privilégiait un certain réalisme historique. Ce n’est pas pour autant que l’archétype du genre, Gladiator, n’a pas laissé de traces. La musique et la scène dans les champs de blés (qui ne figurait pas dans la BD) y font irrésistiblement penser.
Mais ici, point de légionnaires fatigués et désabusés, mais des héros littéralement statufiés qui auraient enchanté Leni Riefenstahl. Ce n’est pas la seule gêne que le spectateur puisse ressentir à la vision du film. En effet, on y exalte la défense par le surhomme occidental d’idéaux « libertaires » contre des hordes barbares venues du sud et conduites par un Xerxès transformé en drag queen. Or, il est tout à fait ironique de voir des Spartiates, qui pratiquaient l’esclavage et l’eugénisme, se faire les champions de la liberté.
Les Iraniens, dans le contexte tendu que l’on sait, ont fortement réagi face à l’image donnée des Perses par ce film américain. A notre avis, ils auraient tort de s’offusquer: il n’y a rien de véritablement perse dans ce film. On trouve dans leurs rangs des Bédouins emmitouflés, des ninjas masqués d’argent, un orque croisé avec un troll, des rhinocéros, mais rien de perse. Aucun risque, donc, de s’identifier à l’ennemi, qui est à peine humain, déformé, défiguré.
De toute façon, il ne faut pas demander à Snyder des éclaircissements sur les nébulosités idéologiques de son film. Ce qu’il voulait, c’était faire un film « cool », un truc qu’il aurait aimé voir lui-même. Et de ce côté-là, il a réussi: le film est un énorme succès aux Etats-Unis.
Nous sommes donc partagés. Il y a certes une incontestable puissance visuelle et une manière tout à fait originale de traiter l’image, et avouons-le, le plaisir régressif d’entendre vociférer des répliques déjà cultes (« This is Spartaaaaa! », « Tonight, we dine in heeeeeell ! »). Mais c’est bien là que réside la faiblesse du film: une crétinerie ambiante, des dialogues primitifs, des démonstrations viriles qui confinent au gag…
La consolation, c’est de voir que 2500 ans plus tard, on pense encore à ces 300 Spartiates et que leur courage peut encore servir… à quoi ? À recruter des hellénistes, des soldats, des chippendales ? Pas clair. Espérons des hellénistes !
Agnès Collet et Elisa Del Mazza Hellwig