Augst n’a pas l’apanage des fêtes antiques. A Augusta Treverorum, capitale de l’Empire Romain sous Constantin, se sont déroulés cet été les huitièmes Antikenfestspiele. En plus des habituelles agapes romaines et ventes d’objets artisanaux ont eu lieu dans l’amphithéâtre d’ambitieux spectacles musicaux. En juin, Quo Vadis, comédie musicale contemporaine inspirée du roman de Sienkiewicz, a été suivie, en juillet, de l’opéra Attila, de Giuseppe Verdi. Les jeux se sont clos sur un concert intitulé « Dieux, héros et hordes sauvages », incluant des oeuvres de Beethoven, Liszt et Wagner. Si ce programme vous a alléché, vous pourrez consulter le site www.antikenfestspiele.de qui dévoile le nouveau choix de concerts pour l’été 2006.
Même hors saison, les attraits de Trèves sont multiples, entre les visites des monuments antiques et des musées, les balades en bateau sur la Moselle, agrémentées par la lecture de la Mosella d’Ausone (disponible dans toutes les librairies de la ville), histoire de voir le « raisin gonfler dans les ondes cristallines » (vitreis vindemia turget in undis) et, pourquoi pas, une dégustation de ce fameux vin de la Moselle que nous devons aux Romains.
Une bonne adresse pour cela: Zum Domstein, restaurant situé en plein coeur de Trèves, à deux pas de la cathédrale. Et, surprise, on y sert des plats inspirés d’Apicius ! Cette idée est née au début des années 70, lorsque le couple Gracher, gérant du restaurant, voulut agrandir sa cave. Les excavations se transformèrent en fouilles archéologiques lorsque les pelles rencontrèrent des restes de poterie et des ustensiles de cuisine romains. Il fut alors décidé que la nouvelle cave exposerait ces trouvailles et serait le cadre d’expériences culinaires à la romaine. Rosemarie Gracher prit la chose très au sérieux et adopta une démarche de chercheuse: elle voulut retrouver les exemplaires les plus anciens de la bible culinaire des Romains, le De Arte Coquinaria d’Apicius. Elle alla consulter les manuscrits du Vatican et de New York, puis trouva à sa grande joie l’un des deux exemplaires encore existants de la première impression du livre, datant de 1498. Latiniste émérite, elle réalisa sa propre traduction, mais se heurta à certaines difficultés.
D’abord, il n’y a aucune indication de mesure; on a donc la liberté d’assaisonner plus ou moins lourdement, en s’adaptant aux palais modernes. En outre, on ne peut savoir si un plat doit être servi chaud ou froid, et bien sûr, rien n’est dit sur la durée de cuisson. Un problème que l’on rencontre également aujourd’hui est la rareté de certaines épices, dont quelques-unes ont carrément disparu de nos contrées. Rosemarie Gracher n’a pas ménagé son temps et ses efforts en voyageant fort loin pour reconstituer tout l’étal d’Apicius. C’est auprès de Bédouins de Tunisie qu’elle a même trouvé la dernière épice qui lui manquait: le sylphion.
Et, entreprise courageuse entre toutes, elle décida de réaliser elle-même son garum, assaisonnement favori des Romains, dont il vaut mieux ignorer la composition pour ne pas être écoeuré. Exposant des sardines saupoudrées de sel marin au faible soleil de Trèves, elle attendit patiemment que la saumure, base du garum, s’en écoule lentement. Le reste de la recette demeure un secret de fabrication.
Les plats proposés par le restaurant ont donc pratiquement le même goût que ceux que l’on mangeait à l’époque de Tibère. On pardonnera quelques légers anachronismes, comme la rondelle de citron sur le bord de l’assiette, « pour la décoration » nous dit la serveuse. Vingt plats sont à la carte, regroupés en trois menus, de prix et de taille différents. Le menu de base est tout à fait abordable.
Il commence par un gobelet de mulsum, vin aromatisé au miel et à l’anis, qui s’assortit parfaitement au mustea, petit pain de Caton, au moût, à l’anis et au cumin, et auquel ne manque pas la petite feuille de laurier. Les gustationes, sorte d’entrée, sont composées de légumes et de savoureuses saucisses aux herbes, les lucaniae. Suit le plat principal, ou mensa prima. Les plus demandés sont le cervus assus et l’agnus tarpeianus. Le dessert, mensa secunda, est une patina de piris, sorte d’omelette aux poires, généreusement poivrée.
On peut arroser ces plats de vins proches de la tradition antique, comme la Retsina grecque ou le Vino Etrusco de Toscane. Mais on peut également se replier sur la riche carte des vins locaux, puisque les Romains sont à l’origine des vignes de la Moselle.
Les assiettes et les gobelets d’argile sont des répliques de ceux qui ont été retrouvés lors des fouilles de la cave romaine et qui y sont exposés. Un potier les réalise à la main en terra sigillata. On pourra regretter que le mobilier ne soit pas à la hauteur de la vaisselle: Manger couché sur un triclinium aurait parfait le réalisme de l’expérience. Par contre, le cadre est assez remarquable, avec ces fac-similés de reliefs funéraires évoquant le quotidien des Romains de la région, comme le fameux bateau de Neumagen, transportant des tonneaux.
Faites-vous une idée en consultant le site www.domstein.de et écrivez à info@domstein.de pour vous faire livrer quelques produits qui vous permettront d’exécuter avec la plus grande précision les recettes d’Elisa Del Mazza-Hellwig. Plus besoin d’utiliser le nuoc-mâm, achetez du vrai garum ! Quant au mulsum trévire, il est encore meilleur que celui qui est en vente au Musée romain d’Augst !