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A propos d’Hercule… Echos d’une sortie de cinéma et de quelques livres

A propos d’Hercule… Echos d’une sortie de cinéma et de quelques livres Posted on 1 avril 1998

hercule

Un petit coin romantique, quelque part dans le Péloponnèse. « Herc » et « Meg » sortent d’une soirée resto-ciné sympa. Ils viennent de voir le dernier spectacle à la mode, « Oedipe-Machin », qui les a mis de fort bonne humeur. Commentaire irrésistible de « Super-mâle » (car tel est l’aimable surnom-Disney de notre héros mythologique): « Et dire que je croyais que j’avais une vie compliquée »… Eh oui, c’est ça l’avantage d’être un héros avantageusement bodybuildé: pas besoin de trop se creuser la cervelle !

Les scénaristes de la dernière superproduction Disney censée exploiter notre fonds culturel n’ont pas dû se la creuser excessivement non plus ni consulter le moindre dictionnaire mythologique pour élaborer le fil de leur intrigue. Le simple fait de présenter Héra comme la mère légitime et aimante d’Hercule (la mention de l’adultère ne passant sans doute pas la rampe du « moralement représentable ») enlève déjà au départ toute motivation à un parcours que certains, en d’autres temps, ont pu qualifier d’initiatique. Exit l’Hercule tragique, l’Hercule souffrant sur la voie de la divinisation, et bonjour Herc-la-montagne-de-muscles!

Il fallait donc trouver un nouveau « méchant » bien caricatural pour dynamiser cette histoire, rôle douteux dévolu d’office à Hadès, de par sa seule appellation de « dieu des Enfers » -et tant pis si l’on confond allégrement les tourments diaboliques des damnés de l’enfer chrétien avec le gris et le froid séjour des ombres grecques. Les archéologues du KAS (Conseil Central d’Archéologie) se sont insurgés contre cette distorsion en particulier, lorsqu’ils ont refusé de prêter la Colline du Pnyx au groupe Disney pour le lancement mondial de leur film, arguant que son sujet n’avait « rien à voir » avec l’histoire…

Dépourvues de moteur interne comme de finalité extérieure, les tribulations herculéennes ne sont donc plus qu’un vain étalage de virtuosité héroïque, rythmé par les contorsions vocales de cinq Muses de music-hall (dont une obèse, pour ne discriminer personne). Chaque nouvel exploit n’ayant d’autre fonction que la distraction du public, le tout illustre bien involontairement la maxime d’Euripide selon laquelle « les corps bien musclés, s’ils sont vides de pensée, ne servent qu’au décor de la place publique ».

On ressort atterré de ces deux heures, où il a fallu non seulement se farcir le spectacle calamiteux des mentons prognathes et des pectoraux surdimensionnés du grand Zeus et de son illustre rejeton, mais encore subir un défilé de monstres tous plus grand-guignolesques les uns que les autres (de l’Hydre-clone d’Alien au « Cyclopote »…). Le tout assaisonné de l’humour balourd de la princesse Mégara (sans doute une façon de justifier son assassinat par l’Héraclès d’origine!), et avalé avec la rapidité vertigineuse d’un trajet à contresens sur l’autoroute. On frise l’indigestion… Mais après tout, on nous avait prévenus: Hercule n’est-il pas « l’invention la plus géniale depuis la pitta »? Estomacs délicats s’abstenir!

Que les personnes soucieuses de proposer un antidote aux jeunes consciences dont ils ont la responsablilité ne se sentent pas abandonnées seules face à leur Alka-Selzer! Nous avons en effet examiné et comparé deux réalisations récentes (parmi d’autres également intéressantes, mais nous nous sommes volontairement limités aux albums, pour rester dans le secteur des plus jeunes) qui s’efforcent, sur ce sujet à la mode, de réconcilier le plaisir avec une certaine exactitude.

Tous deux titrés « Les douze travaux d’Hercule », ils présentent des qualités assez différentes. L’ouvrage paru chez Gautier/Languereau est à la fois le plus simple, le plus humoristique, et celui dont les illustrations nous ont paru les plus originales. Traitées dans la manière de la céramique classique, les figures sont rendues en noir, pour les obstacles et les épreuves, et en rouge pour le héros, saisi dans des poses de lutteur antique (avec un slip en peau de lion de Némée!).

La version de Père Castor/Flammarion, par contre, est à la fois mieux documentée et plus complète. Faisant droit au point de vue des Dieux, établissant, au passage, quelques ponts avec des thèmes mythologiques connexes, elle est aussi plus émouvante – avec des consonnances tragiques qui n’évitent pas toujours le pathos. Effet de surchage auquel contribuent malheureusement les illustrations, abondant en dorures wagnériennes! Héraclès (à qui l’on restitue son prénom d’origine) apparaît comme une sorte de Siegfried dorien à la sombre chevelure et à la moue perpétuellement amère. Lui au moins, c’est clair, n’est pas là pour rigoler mais bien pour ex-pi-er.

Contrairement à ce que le titre pourrait laisser supposer, l’ouvrage paru chez Père Castor/Flammarion ne traite pas seulement des douze travaux, mais s’étend également sur l’enfance, l’éducation, les amours, la mort et l’apothéose du héros. On y trouve aussi une carte, pour faciliter la localisation des emplacements desdits travaux sur le pourtour de la Méditerranée. La petite carte de Grèce de l’édition Gautier/Languereau fait pauvre figure en comparaison, et son récit prend fin au terme du douzième exploit: on se réconcilie avec Héra, et en route pour de nouvelles aventures!

C’est que l’Hercule de Nicolas Cauchy est aussi plus positif, mieux conforme à l’image qu’on se fait volontiers d’un héros toujours un peu fruste. Avide d’exploits, il se montre bagarreur et gros mangeur, mais reste fondamentalement un homme de bien, noble et courageux, condamné pour son malheur à servir « des avares, des menteurs et des poltrons » (tels les rois Eurysthée et Augias). Le fil conducteur du récit est l’opposition constante entre les deux cousins, qui permet également d’introduire nombre de dialogues et d’effets humoristiques basés le plus souvent sur un comique de répétition (la fameuse jarre dans laquelle se cache – ou ne se cache pas! – Eurysthée).

Il est fort probable que la version Gautier/Languereau, à la fois plus drôle et plus efficace, sera la préférée des plus jeunes (dès 5 ou 6 ans) – l’ouvrage Père Castor/Flammarion étant à conseiller plutôt aux plus agés (dès 10 ans) et à ceux qui recherchent l’exhaustivité. L’Hercule « made in Disneyland » a au moins eu le mérite de mettre le sujet à la mode. A chacune et chacun d’en profiter!

Les douze travaux d’Hercule
Texte de Nicolas Cauchy. Illustrations de Morgan. Editions Gautier / Languereau, 1997.

Les douze travaux d’Hercule
Texte de James Riordan. Traduction de Rose-Marie Vassallo. Illustrations de Christina Balit. Editions Père Castor / Flammarion, 1997.