Les léopards tirant le char de Bacchus ont donc fait halte au musée romain de Lausanne-Vidy jusqu’aux prochaines vendanges. C’est la voix même du dieu qui nous guide à travers cette exposition, avec l’humour qui caractérise l’équipe de Laurent Flutsch.
Les légendes décrivant chaque objet sont à la première personne (« Moi avec Ariane » sous une mosaïque, par exemple…). La scénographie est presque aussi impressionnante que pour la précédente exposition, « Le rideau de rösti », où des paquets de röstis suspendus faisaient office de frontière. Ici, ils sont remplacés par des rideaux d’éthylotests !
Mais la fantaisie n’exclut pas le sérieux, et les panneaux explicatifs (placés dans des bacs à vendanges !) sont extrêmement détaillés et intéresseront autant les viticulteurs que les archéologues. Toujours pédagogiques (« voyez les plants de vigne devant ce musée »; « montez à l’étage voir l’inscription aux nautes du Léman »), ils nous informent sur tout le processus de vinification, et nous livrent quelques anecdotes qui nous prouvent que les magouilles existaient déjà à l’époque, comme cette habitude que les encaveurs avaient dans la région marseillaise de trafiquer leurs vins à la fumée pour les vieillir artificiellement. Ils nous enjoignent aussi de consommer le divin breuvage avec modération, car, si dans l’entourage de Bacchus, Silène, Priape ou les Ménades se livraient à des libations incontrôlées, ils sont immortels, ce qui n’est pas notre cas !
Quant aux objets qui jalonnent cette exposition, ils sont de nature et de qualité variables: léopard empaillé, film hélas muet, cep romain carbonisé, maquettes animées (on presse sur un bouton et des personnages au masque grotesque se mettent à fouler du raisin…). Certains objets exceptionnels sont à relever: un reste de tonneau provenant d’Oberwinterthur avec une inscription ressemblant aux graffiti de Pompéi: « Bacchus me fecit »), un col d’amphore contenant encore son bouchon garni de ce sable volcanique nommé pouzzolane, un échantillon de vin (75-60 av. J.-C. !) retrouvé dans une épave, et, touche helvétique, la fameuse serpette de Nyon, premier témoignage de la viticulture dans notre région.
La visite s’achève en beauté: une fois passés par une porte en forme de tonneau, nous pénétrons dans une pinte ornée d’éléphants roses et de graffiti délicieux (« La réalité est une hallucination provoquée par le manque d’alcool »). On peut y déguster divers vins romains (à 0 sesterce le godet, précise l’ardoise) en choisissant sa chanson (une dizaine de tubes à l’ancienne sont proposés, entre Ah, le petit vin blanc et Quand j’suis paf) et en lisant ce que propose la bibliothèque: Les pintes vaudoises ou un ancien catalogue d’exposition…
Le premier vin que vous pourrez déguster est le fameux mulsum, ce vin doux d’apéritif (ou gustatio), agrémenté de miel et d’une impressionnante quantité d’épices. Comme la bouteille de dégustation reste ouverte longtemps, vous n’aurez peut-être qu’une impression mitigée de ce délice. Nos lecteurs attentifs savent déjà qu’on peut s’en procurer des bouteilles au Musée romain d’Augusta Raurica ou au restaurant Zum Domstein de Trèves (commande possible à l’adresse info@domstein.de).
Le deuxième ressemble de façon frappante à la retsina grecque ou à un vin jaune du Jura. Coupé d’eau de mer, le turriculae peut être assez déroutant mais son léger goût de noix en fait un excellent accompagnement pour le fromage ou le poisson.
Le troisième, le carenum, est un vin liquoreux proche du porto qui conviendra aussi comme vin de dessert, en particulier pour son goût fruité, dû au fait qu’on a ajouté au moût du defrutum, mélange de jus de raisin chauffé avec quelques coings.
Tous ces vins proviennent du Mas des Tourelles, entre Nîmes et Arles. Comme pour le restaurant trévire, tout est parti de fouilles archéologiques. Sur les restes de la pars rustica d’une villa a été reconstruite une ferme viticole à la romaine où tout le processus de fabrication du vin a été reconstitué: des hommes en tunique antique foulent le raisin (eh oui, avec les pieds! vous y repenserez en goûtant le vin !); la mixture dûment épicée est ensuite conservée dans les dolia, ces immenses jarres enterrées dans la cave pour les maintenir à température égale. Les produits de la ferme (outre le vin, de l’huile d’olive, des tapenades, du miel, des céramiques…) sont vendus sur place, et sur internet! Consultez le site www.tourelles.com pour vous approvisionner.
Nunc est bibendum !