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La mythologie dans la littérature enfantine

La mythologie dans la littérature enfantine Posted on 1 novembre 1997

Tout le monde est en général prêt à convenir que la culture gréco-romaine représente une part majeure de notre héritage occidental. Dans une double généalogie, la rationalité et l’esthétisme des Grecs se seraient mêlés pour le meilleur (et pour le pire !) au pragmatisme de l’organisation romaine, à laquelle nos codes de lois et notre administration sont si redevables… Mais trop souvent encore, nos souvenirs classiques, étouffant d’ennui sous le kitsch et les dorures, ressentent le besoin d’un grand dépoussiérage !

L’image de la Grèce antique a souffert d’être étroitement associée à un culte un peu figé de la rationalité. Certes, la primauté accordée au logos est une conquête de l’esprit grec, mais elle ne constitue encore qu’une demi-vérité, si on ne lui restitue pas aussi sa part d’ombre. L’usage qu’ont fait des grandes mythes la psychanalyse de Freud ou l’anthropologie de Lévy-Strauss devrait nous mettre la puce à l’oreille. Le monde grec, ce modèle d’ordre et de rationalité, recèle bien des surprises pour qui se penche sur ses fonds ténébreux, habités par une violence primitive et une énergie que Nietzsche qualifiait de « dionysiaque ». Cette fascination pour ce que les Grecs ont appelé « l’excès » apparaît dans bien des récits, comme celui d’Orphée dépecé par les femmes ou la description des appétits anthropophages du Minotaure; elle forme le soubassement de la plupart des thèmes tragiques.

La mythologie fait le fond d’innombrables oeuvres d’art égrenées à travers les siècles, et on ne saurait en faire l’économie pour être à même de les apprécier. D’un autre côté, ces récits sont le plus souvent si foisonnants que le néophyte en perd souvent le fil… On ne pense pas toujours que cette luxuriance et cette liberté dans l’arrangement des motifs – qui peut aller jusqu’à laisser coexister des contradictions patentes entre les différentes versions d’une même légende ! – sont la marque d’une souplesse face à ses propres textes sacrés et d’une tolérance tout à l’honneur du polythéisme antique. Et ce d’autant plus quand on le compare aux « religions du Livre » et autres révélations auxquelles nul n’est censé ajouter un iota… C’est précisément parce que la mythologie grecque est polyphonique, plurielle, et parfois contradictoire que l’utilité d’un guide simple, qui s’en tienne volontairement aux grandes lignes, se fait d’autant plus sentir.

Cela commence comme un roman: « Gaïa repose, calme et seule, dans l’univers immense: elle écoute les chuchotements de Nuit et les bavardages de Jour. Personne ne l’a vu, personne ne l’a entendu, pourtant Éros, l’invisible désir, vient de naître. Quand il parle, personne ne l’entend, et pourtant tous éprouvent le désir de tomber amoureux. » C’est le commencement du monde selon la Théogonie d’Hésiode, raconté aux enfants de 3 à 8 ans dans deux jolis petits volumes, aux illustrations sobres mais néanmoins riches de détails signifiants (les attributs avec lesquels sont représentées chaque divinité, par exemple).

Au niveau du texte, le parti-pris est celui de découper le foisonnement mythologique en de brefs épisodes tenant sur une seule page (bien que certains récits « à tiroirs » nécessitent davantage d’espace pour se déployer, comme les exploits de Thésée ou les travaux d’Hercule). Quoique simple, le texte va à l’essentiel et permet de suivre le fil des principaux récits sans avoir besoin de connaissances préalables. Les voix d’Homère ou d’Hésiode parviennent même directement à nos oreilles, grâce à une petite citation apposée au bas de chaque page, et qui invite à se pencher directement à la source de nos récits favoris.

Il n’y a qu’un bémol à apporter, à mon avis, à cette excellente réalisation: la part prépondérante accordée à pour les citations à la source relativement tardive des Métamorphoses d’Ovide – ce qui présente cependant l’avantage de consolider le pendant latin de l’ouvrage. De ce point de vue, le titre exact de ces deux volumes serait plutôt « La Mythologie grecque », car seul l’index se réfère aux correspondances latines des héros et des divinités, et la carte géographique du second volume ne présente que les sites de la Grèce et de l’Asie Mineure. Mais cela ne devrait détourner personne de ce petit manuel aux nombreuses qualités, dont la moindre n’est pas celle de savoir séduire nos enfants !

La Mythologie

Texte de Laura Fischetto avec la collaboration de Sylvie Coyaud, Illustrations de Létizia Galli. Editions du Centurion, 1991.

  • tome 1 Les Aventures des Dieux
  • tome 2 Les Héros et les Hommes