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Version latine et roman policier: l’enquète…

Version latine et roman policier: l’enquète… Posted on 1 octobre 1998

Voici un intéressant rapprochement entre l’enquête policière et la version latine ou grecque: il s’agit toujours d’une énigme à déchiffrer.

Le roman me vint dans les mains, je pense, guère plus d’un an après son lancement en 1927. Ma principale occupation d’alors, c’était le latin. Poussé sans ménagements par un père chartiste – exceptionnellement coléreux – qu’assistait un sien ami – chartiste au tempérament flegmatique et têtu -, j’avais marché très fort dès le début, y ayant pris goût dès la première année, à l’issue de laquelle j’avais deux ou trois classes d’avance sur mes copains du lycée, et je continuais d’avancer.

On aurait tort de croire qu’il n’y a pas de lien avec Agatha Christie. C’était, au contraire, une assez bonne préparation, en ce que, d’abord, j’y avais pris goût aux jeux de la logique. Et puis, qu’on ne s’y trompe pas: du texte latin au detective novel, les même mécanismes mentaux sont en cause, qu’il faut conduire par des voies fort semblables.

Pour un lycéen de langue française qui aborde le latin, ce qui en constitue la nouveauté et la caractéristique essentielle, c’est que, non seulement les verbes, mais aussi les substantifs, prennent différentes formes au gré de la fonction qu’ils assument dans la phrase. De là découlent de remarquables similitudes. Les désinences jouent dans le texte latin un rôle identique à celui des indices dans un problème policier. Une fois ceux-ci révélés, puis correctement interprétés, tout s’enchaîne, devient évident. Il en va dans le cadre de la sentence latine comme dans celui de l’enquête criminelle. En revanche, pour un indice passé inaperçu, pour une désinence mal comprise, il suffira qu’un seul point reste obscur pour faire obstacle à tout, et que rien n’aboutisse. Brûler l’étape n’est pas permis. Défense de deviner. Ni dans les déductions d’Hercule Poirot, ni dans une version latine il n’y a de place pour l’intuition, qui serait une dangereuse tricherie. Reste pour le potache, ou pour le petit policier belge, à tourner et retourner entre les doigts, l’un après l’autre, tous les pions disponibles. Reste à piétiner le temps qu’il faudra. Reste à chercher, chercher et continuer de chercher.

Georges Arnaud

(Extrait de la préface pour Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie, édition Livre de Poche).