Posted in Littérature Pharos 20

Morituri te salutant: de l’arêne au cloaque

Morituri te salutant: de l’arêne au cloaque Posted on 1 mars 2005

« J’avais organisé des jeux spectaculaires, dont j’attendais un grand succès. Il est très important, pour moi, de conserver l’appui de la plèbe… Et voici que cet imbécile de Chélidon est allé se faire tuer. C’est une catastrophe ! » gémit le vieux Claude, rappelant ainsi le lien indéfectible qui unit les Jeux et le pouvoir politique dans la Rome impériale.

Il en va de même de l’enquête confiée par l’empereur au sémillant Publius Aurelius Statius, dont c’est la deuxième aventure traduite en français. Mais, en réalité, voici un formidable prétexte. Car il s’agit moins, pour l’auteur, de résoudre la mort mystérieuse d’un charismatique gladiateur que d’explorer les bas-fonds d’une société impériale qu’elle présente comme corrompue par la quête du pouvoir, l’argent et le vice.

Pour autant, l’intrigue policière n’est pas dénuée d’intérêt: notre enquêteur, Aurelius, est un patricien subtil et attachant. Le duo qu’il forme avec son ami, le libidineux Titus Servilius, est des plus comiques, même s’il repose sur un principe déjà éculé au cinéma comme en littérature. Quant à l’intrigue, de ludus magnus en palais, d’insula en spectacle sulfureux, elle progresse de façon palpitante, ménageant ça et là quelques rebondissements inattendus.

Mais le lecteur se rend vite compte que ce qui a d’abord intéressé Danila Comastri Montanari, c’est la peinture d’un monde qu’elle décrit avec justesse, cruauté, et parfois même sympathie. L’auteur semble prendre plaisir à introduire le lecteur dans des lieux insolites, au gré des rencontres que fait Aurelius au cours de son enquête: dans le sanarium où officie Chrysippe, un arrogant et provocateur médecin, dans la loge de Nisa, une fascinante actrice de pantomime, célèbre pour ses suggestives chorégraphies, dans la bibliothèque de Claude, désespérément lucide et pourtant si attachant, dans le tablinum de Sergius Mauricus, un avocat hypocrite et dangereux…

Cette galerie de portraits, variés et habilement croqués, constitue l’un des charmes du roman. Le lecteur a l’impression de plonger dans un monde secret et souvent sordide où se côtoient les personnages les plus divers: courtisanes, gladiateurs peu scrupuleux, patricienne dépravée, hommes politiques comploteurs, affranchi malicieux, laniste opportuniste, impératrice manipulatrice et incestueuse… Un univers sombre et fangeux, symbolisé par l’évocation insistante des décharges à ordures de Rome, et que ne parviennent pas à égayer les amusants déboires amoureux du ridicule Servilius, ni les comiques scènes de jalousie de son épouse, ni les chamailleries de l’enquêteur et de son affranchi.

Vivement mené, à la façon d’un combat de gladiateur auxquels se compare volontiers notre héros lorsqu’il s’expose au danger dans l’espoir de triompher, cette aventure de Publius Aurelius Statius ravira tous ceux que fascine cette boîte à fantasmes qu’est la Rome antique.

Danila Comastri Montanari, Morituri te salutant, Editions 10/18, Collection Grands Détectives, 2004 (édtion anglaise 2001).